Selenite : anatomie d’une folie animée

La folie du savoir À la croisée du drame, du fantastique et de la science-fiction, Selenite nous entraîne dans un huis clos oppressant où la chute psychologique de son héros devient le moteur narratif. Hernest, mystérieux intrus, investit un manoir déserté et s’approprie l’identité du propriétaire. Plus il s’enfonce dans les couloirs de cette demeure,…

La folie du savoir

À la croisée du drame, du fantastique et de la science-fiction, Selenite nous entraîne dans un huis clos oppressant où la chute psychologique de son héros devient le moteur narratif. Hernest, mystérieux intrus, investit un manoir déserté et s’approprie l’identité du propriétaire. Plus il s’enfonce dans les couloirs de cette demeure, plus son esprit se fissure : bruits hors champ, détails insaisissables et cadrages obliques annoncent un basculement. À l’image d’un récit lovecraftien subtile et cryptique, loin du “torture porn”, le court métrage joue sur l’anticipation et la paranoïa, invitant le spectateur à une double lecture. L’œuvre n’entend pas tout révéler dès la première projection : elle suscite une relecture, dévoilant de nouveaux indices à chaque visionnage.

Le scénario, imaginé par Victor Mercier, explore la peur de l’inconnu et la fragilité de l’esprit humain. La progression dramatique est soulignée par une intrusion de rouge carmin, discrètement amorcée dans les premiers plans, puis envahissant l’image jusqu’à se refléter dans l’œil du protagoniste, symbole de sa folie grandissante. Le choix d’une typographie dactylographiée renforce la complexité des connaissances découvertes, témoin d’une mentalité troublée.

Entre esthétique monochrome et audace graphique

Dès sa genèse, l’équipe a voulu faire de Sélénite un film d’ambiance horrifique, moins fondé sur le spectaculaire que sur la suggestion. Ce parti pris a nécessité une narration cryptique, plus grand défi du projet. Pour soutenir cette atmosphère, les réalisateurs Ethan Macel, Klervi Maugis–Jeanson, Victor Mercier et Maxence Soliot, ont opté pour un quasi-mono­chrome, combinant séquences en noir et blanc et touches de carmin.

Réalisé en animation 2D traditionnelle sur Toon Boom Harmony, de l’animation au compositing, seuls les décors de Selenite ont été peints sur Photoshop par Maxence Soliot. Chaque plan a été animé image par image, ombres comprises, offrant un jeu de clair-obscur d’une rare finesse. Le ratio 1.85 : 1 et le mixage stéréo participent à l’immersion du spectateur dans la chute psychologique d’Hernest. La partition de Tristan Gentile accompagne par ailleurs le récit tout en renforçant la tension et harmonisant l’ambiance énigmatique du court-métrage.

Sur le chara­design, l’influence de Samurai Jack se fait sentir : Hernest est longiligne, aux angles expressifs, idéale silhouette pour des jeux de lumière dramatiques. L’équipe d’animation : Klervi Maugis–Jeanson, Ethan Macel et Victor Mercier, a] œuvré main dans la main pour que chaque ombre, chaque lumière, devienne élément de narration. 

L’animation à l’ère de l’IA

Au moment où l’IA générative bouscule les métiers de l’animation et menace la dimension artisanale des images, l’équipe de Selenite revendique fièrement les imperfections et contraintes qui font la richesse du travail manuel. « Le cinéma comme médium, aussi humbles soient ses productions, ne pourra que souffrir de la déshumanisation de sa force de travail et de ses intentions », rappelle Victor Mercier. En choisissant l’animation traditionnelle, en dessinant chaque ombre à la main, les créateurs affirment leur attachement à un art profondément humain, où chaque trait porte l’empreinte d’un geste.

Il est d’ailleurs à noter que le court métrage Selenite été à l’honneur lors de la projection Miyu Pivaut au festival du Cinéma d’Animation, mais aussi à l’EFFAT International Student Film Festival et à l’Animation Tanzania Film Festival, confirmant l’audace des jeunes réalisateurs face à un cinéma d’animation souvent convenu.

Plus qu’un simple exercice de style : c’est une expérience psychologique, un défi technique et une prise de position artistique. À travers son regard oscillant entre frissons et contemplation, ce court métrage invite à questionner les limites de la raison et la place de l’émotion dans un monde qui tend à déshumaniser la création.

Klervi Maugis—Jeanson : Colorscript – Animation Perso – Props 

Ethan Macel : Charadesign – Layout Perso – Animation Perso 

Maxence Soliot : Layout Décor – Décors 

Victor Mercier : Storyboard – Animation Perso et FX – Compositing