Un univers aquatique paradoxal porté par une animation hybride
Ikan Bilou marque l’arrivée d’un court-métrage d’animation aussi original qu’ambitieux. Réalisé par le trio Ambre Pineau, Gwendolyne Thio et Rayanne Sebbar, ce film de 5 minutes 30 secondes déploie une comédie tous publics au postulat réjouissant : et si les poissons ne savaient pas nager ?
Le protagoniste, Bilou, est un poisson à pieds physicien qui évolue dans un quotidien apparemment normal, si ce n’est un détail troublant : le nombre élevé de noyades dans ce monde où les poissons ne savent pas nager. Loin de s’en satisfaire, ce scientifique atypique fait de ce phénomène son sujet de thèse, bien décidé à percer le mystère de l’incompétence aquatique de ses congénères. Une quête absurde qui soulève une question philosophique : veut-on vraiment connaître certaines vérités ?
Ce qui distingue Ikan Bilou dans le paysage de l’animation, c’est bel et bien son approche visuelle résolument hybride. Le film très coloré mélange animation 2D traditionnelle, 3D, vidéo et animation sur tissu batik, créant une texture visuelle unique qui reflète la diversité créative de l’équipe.





Une prouesse technique au service de l’expérimentation
L’ambition technique d‘Ikan Bilou se révèle dans la palette d’outils et de méthodes employés. Les réalisateurs ont mobilisé Toon Boom Harmony, After Effects, Premiere Pro, Photoshop et Blender pour donner vie à leur vision kaléidoscopique.
Chaque membre de l’équipe a exploré des techniques inédites. Gwendolyne Thio s’est aventurée dans l’animation sur tissu pour la scène onirique, s’inspirant des motifs traditionnels de Singapour pour créer des visuels rappelant l’art du batik. Cette recherche esthétique a nécessité de nombreux tests préalables, témoignant d’une démarche d’artisan autant que d’animateur. Ambre Pineau a poussé l’hybridation jusqu’à réaliser du vidéo live sur des maquettes en carton, avant de composer ces prises de vue avec de l’animation 2D dans un travail de compositing complexe. Cette approche artisanale confère au film une matérialité tactile rare dans l’animation contemporaine. Rayanne Sebbar a relevé le défi de la 3D en se formant intensivement à Blender et au grease pencil, tout en réalisant les décors à la gouache. Cette combinaison de techniques numériques et traditionnelles illustre la philosophie générale du projet : ne s’interdire aucune exploration.






L’esprit créatif : liberté, apprentissage et cohésion
La dimension la plus inspirante du film réside peut-être dans l’approche créative revendiquée par ses réalisateurs. « Ikan Bilou a servi de support pour nos expérimentations et apprentissages », expliquent-ils avec franchise. Cette transparence sur le processus créatif révèle un film laboratoire où la prise de risque prime sur la sécurité.
Cette philosophie s’est étendue à tous les collaborateurs du court-métrage. Les musiciens Nicolas Schwartz et Dimitri Guindet (Yoshinen Studio) ont reçu carte blanche pour expérimenter, donnant selon les réalisateurs ravis « une nouvelle dimension au film« . Le sound design de Christophe Ulens et Léo Peyreton a également bénéficié de cette liberté créative, permettant « une relecture du film » par le son.

« On a toujours tendance à se brider bien sûr mais on a tous fait de notre mieux pour nous relâcher au maximum« , confient les réalisateurs. Le véritable défi résidait dans l’unification de ces multiples techniques en un ensemble cohérent pour le spectateur.
Malgré quelques frustrations inhérentes à tout processus créatif ambitieux, l’équipe assume pleinement sa démarche : « on ne peut pas dire qu’on aura pas essayé et c’est le plus important ! » Cette humilité et cette audace font du film Ikan Bilou bien plus qu’un simple court-métrage d’animation : un manifeste pour une création libre, expérimentale et résolument moderne dans le paysage de l’animation 2D française.

