Ombres filantes et éveil de la peur
Dès les premiers instants de Nuit Noire, Roman Cantau nous entraîne dans un univers où l’obscurité oppressante n’est plus simple absence de lumière, mais personnage à part entière. Kô, un enfant somme toute ordinaire, se retrouve dans l’obscurité d’une forêt inconnue et silencieuse, avec pour seule compagnie et source de lumière sa lampe-tempête. L’enfant apeuré va devoir avancer, seul, livré à lui-même dans l’obscurité de ce sinistre bois. Il porte sur ses frêles épaules le poids d’une légende intime — celle de la peur de l’inconnu. Grâce à un scénario d’une redoutable efficacité (une semaine de recherches graphiques et d’écriture), chaque craquement de branche et chaque souffle de vent deviennent autant de promesses de frissons. L’approche en noir et blanc renforce cette dimension intemporelle et fantastique, donnant à ce conte dramatique de 4 min 24 s un air de cinéma d’horreur.



Donner vie au mythe en quatre mois
Porté par la vision déterminée de son réalisateur, Nuit Noire est avant tout l’histoire d’un défi personnel plus que relevé. En moins de vingt semaines, le réalisateur a orchestré seul toutes les étapes de la production, de la préproduction (character design, décors) au montage final, s’entourant seulement de stagiaires pour quelques plans. Un quatuor de logiciels tels que Storyboard Pro, ToonBoom Harmony, Adobe After Effects et Première Pro a constitué sa boîte à outils. Eden Ghesquiere, Carla Vallet-Hemon et Isaure Sivel ont aidé à l’animation lorsque celle-ci a demandé des choix artistiques radicaux imposés par un calendrier serré. C’est précisément cette direction narrative et graphique qui confère au court-métrage en 16/9ᵉ sa clarté visuelle et son rythme haletant.
Le suspense en noir et blanc
Dans Nuit Noire, la technique devient langage : chaque trait traditionnel de 2D, chaque contour de décor est un élément de narration. Marine Launeau signe une communication graphique et l’affichage, tandis qu’Antoine Dahuron, en tandem avec l’ingénieur son, compose un sound design et une musique où le moindre silence fait ressentir au spectateur une tension palpable. Lucie Allmang, qui prête sa voix et affine le charadesign, insuffle à Kô une vulnérabilité touchante. Lisse ou texturé, le rendu noir et blanc des trente et un plans magnifie le suspense : on croit entendre frémir les feuilles, on devine des ombres bouger au-delà du halo de la lampe.
Ce film d’animation, véritable challenge pour son réalisateur, prouve par son audace et sa maîtrise technique, que l’intensité du récit ne se mesure qu’à la force d’une idée bien menée… même dans le noir.